Je n’arrive pas à m’enlever de la tête qu’avant toute chose, le paranoïaque a peur et que c’est de cette peur qu’il puise toute sa puissance destructrice.
Cette peur, il l’engendre lui-même et plus il va s’éver-tuer à l’apaiser, plus elle va grandir. C’est bien ce qui le rend si dangereux. C’est un microcosme entropique qui se nourrit de lui-même jusqu’à l’auto-destruction.
Il a une vision manichéenne du monde dans laquelle lui-même est le bien. Le mal émane de la volonté de le combattre. Celui qui déclare ce combat s’arroge le statut de bienfaiteur et diabolise celui qu’il accuse d’être le mal. C’est donc une pure projection.
Je reconnais chez le pervers et le paranoïaque la volonté de Dieu et s’il s’agit d’identifier les croyances sur lesquelles repose le totalitarisme, je pense qu’il est indispensable de faire un tour du côté du christianisme.
Dieu accuse Lucifer de l’envier et le diabolise. Et si Dieu n’est qu’une métaphore de l’homme qui aurait accompli son processus d’individuation, alors Lucifer aspire à quelque chose de parfaitement légitime, mais qui ôterait à Dieu sa toute puissance puisque Lucifer deviendrait un homme libre, un homme ex-ossé. L’enfant qu’on prive de la sorte, auquel on inflige autant d’injustice va effectivement s’enlaidir et il est alors aisé à ces petites gueules d’anges de lui faire porter tous les torts. C’est bien l’archange Michael qui tient l’épée…
Même chose pour l’homme et la femme. Eve est la pécheresse, elle est la tentation, la perversion. Pourtant c’est “bien” l’homme qui lui vole sa virginité. Il s’empare de ce voile et s’en pare, lestant la femme du péché originel.
Le paranoïaque , une fois qu’il a assis son pouvoir va ressentir une peur exacerbée. À savoir, celle de voir un jour les individus soumis l’en déposséder. Prenons l’exemple des familles les plus riches du monde. Il est aisé de comprendre qu’elles vont développer une grande paranoïa à mesure que leur richesse augmente.
Ces gens-là croient effectivement au complot. Ils sont rongés par la mauvaise conscience et vivent de fait dans la peur permanente d’un retournement de situation. Leur peur est fondée puisqu’il arrive un moment où les individus soumis, s’ils veulent survivre et parce qu’ils n’ont plus rien, n’auront d’autre choix que d’aller reprendre aux ultra riches qui ont tout.
C’est alors que les plus riches les accusent de comploter contre eux après avoir eux-mêmes passé leur vie à comploter sur le dos des opprimés. Là encore, une pure projection. Arrivés à ce stade, ils s’abattent sur nous tel un rouleau compresseur pour éliminer ce qu’ils ont eux-mêmes engendré et qui finit par les menacer. En nous détruisant, ils se détruisent eux-mêmes.
Dieu a interdit à Adam et Eve d’accéder à la connaissance. Dieu a préféré l’offrande d’Abel à celle de Cain, le sang au fruit de la terre.
On retrouve chez eux ces croyances:
– Le juge “tranchant” entre le bien et le mal
– Leur légitimité
– L’hégémonie (folie mégalomane)
– La race supérieure
– L’immortalité
– L’invincibilité
On retrouve dans le délire du transhumanisme, la volonté d’égaler Dieu en créant une nouvelle humanité. Pendant des décennies entières, l’homme n’a cessé de projeter sur la machine tout le talent dont il est lui-même doué. Le robot remplace l’homme qui l’a engendré. L’ordinateur est un instrument sur lequel l’homme a projeté toutes ses facultés.
Comme un jeu de ping-pong et après que la machine est devenue l’homme, c’est l’homme qui veut devenir la machine.
Le paradoxe réside dans le fait que l’homme a poussé son génie à son paroxysme : la folie. L’homme fou n’est pas possédé, il est dépossédé, à savoir de son génie. En ex-primant son génie, l’homme s’en est progressivement dépossédé. Les facultés qui étaient les siennes sont devenues celles de la machine et il aspire à devenir cette machine en se l’implantant dans le corps. Son identification est totale, il est désintégré. L’homme prend conscience de lui-même en extériorisant son être intérieur. Tout ce qu’il perçoit dans le monde matériel n’est que le reflet de ce qu’il est au plus profond de lui. En se projetant ainsi intégralement dans la machine, il reçoit d’elle l’image de ce dont il s’est dépossédé en retour. Ayant tout projeté sur la machine, sa nostalgie est à son paroxysme et il ne peut plus qu’assimiler cette machine. Non pas qu’il s’y soit reconnu, mais parce qu’il l’envie et parce que si la machine est aboutie, lui est vide, totalement vide. En s’implantant la machine dans le corps, il cherche tout simplement à compenser le vide qu’il a engendré en créant cette même machine. Plus elle aboutissait, plus le vide grandissait en lui. Plus le vide grandissait en lui, plus il perfectionnait la machine (effet compensatoire). Aujourd’hui qu’elle est aboutie, il ne peut plus que l’assimiler. Tout en lui est hors de lui. Il ne se l’attribue pas, il l’attribue à la machine, son objet de projection et de convoitise.
Ce vide intérieur, c’est le vide de la conscience humaine, c’est le vide de l’amour propre, c’est la mort de l’enfant intérieur. Et c’est parce que cet enfant intérieur est mort qu’ils finissent toujours par s’en prendre aux enfants. Ils ont soif d’enfants parce qu’ils compensent ainsi la douleur sourde qu’ils s’infligent en se détachant de leur enfant intérieur. Ils sont dissociés et projettent sur autrui cette dissociation. En plongeant autrui dans une réalité schizophrène. Tout ce qu’ils détestent en l’autre est le reflet de leurs douleurs, tout ce qu’ils envient est le reflet de ce dont ils se languissent.
Toute croyance dirigée sur l’extérieur éloigne l’homme de lui-même. Aussi longtemps que l’homme vénérera autre chose que lui-même, aussi longtemps qu’il attribuera à une force extérieure la toute puissance de son être, il ne déclenchera pas la conscience de soi. Pendant ce temps, il vole à l’autre, par le mensonge et la violence, ce dont il s’est dépossédé. Jusqu’à ce que cette force se retourne contre lui. Dieu, paranoïaque, Frankenstein : même combat.